07/09/2007 Texte

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L'indomptable dynamique islamiste, par Antoine Basbous

Six ans après les attaques du 11-Septembre et le début de la guerre contre le terrorisme islamiste, force est de constater que, loin d'avoir été éradiqué, ce dernier ne cesse de progresser. La guerre engagée n'a fait qu'exacerber le phénomène islamiste, qui est aujourd'hui plus répandu et plus visible qu'à la veille du 11-Septembre, notamment grâce à Internet et aux chaînes satellitaires. La confrontation s'étend géographiquement et s'approfondit sur le plan doctrinal, entre l'islamisme radical d'une part, l'Occident et l'islam modéré - mais incapable de se réformer et de concevoir un modèle crédible et vertueux - d'autre part.

Cette mouvance terroriste a fait des incursions violentes dans de nouvelles contrées, de l'Asie à l'Europe en passant par le Moyen-Orient..., et a consolidé ses sanctuaires anciens ou nouveaux que sont le Pakistan, l'Afghanistan, l'Algérie et l'Irak. La capture ou l'élimination de dizaines de dirigeants radicaux et de milliers de djihadistes ne doivent pas dissimuler une réalité inquiétante : les hommes qui tombent sont élevés au rang de "martyrs", promis aux délices du paradis, et suscitent aussitôt des cohortes de vocations.

Quand bien même les dirigeants emblématiques d'Al-Qaida viendraient à disparaître, parions que la nébuleuse islamiste ne sera pas pour autant affectée dans sa dynamique, son idéologie ou ses recrutements. Le bilan de la lutte contre le terrorisme islamiste est donc loin de rassurer. Qui aurait cru que la traque des maîtres du terrorisme serait aussi longue et infructueuse, en dépit des quelque 600 milliards de dollars engagés par les seuls Etats-Unis ; que, six ans après la défaite des talibans et la destruction de leur sanctuaire, Kaboul serait à peine sécurisée et que ces guerriers d'un autre temps retrouveraient leur influence ? Pire encore, cette dynamique se renforce au Pakistan et menace le régime autoritaire du général Musharraf, lequel dispose d'armes nucléaires très convoitées par Oussama Ben Laden.

Et que dire de l'ouest de l'Irak, transformé en nouveau sanctuaire d'Al-Qaida, où la doctrine du Takfir (qui prône le retour aux sources de l'islam et la rupture avec une société jugée impie) tue à plein régime les "hérétiques", qu'ils soient chiites, sunnites jugés peu orthodoxes, ou plus récemment yazedis. La cruauté a dépassé les limites de l'imaginable sur le théâtre irakien, avec l'introduction de substances chimiques mélangées aux explosifs. Les radicaux d'Al-Qaida, tout comme les chiites alliés de Téhéran, mènent une campagne de "nettoyage communautaire", avec pour objectif provisoire le contrôle de Bagdad, l'ex-capitale de l'Empire abbasside. L'évolution de la guerre en Irak révèle au grand jour l'ampleur de la défaite américaine, dont l'onde de choc risque de déstabiliser toute la région et de menacer la sécurité des approvisionnements pétroliers, donc l'économie mondiale.

Reconnaissons toutefois quelques rares effets positifs de la lutte antiterroriste : l'accroissement de la vigilance internationale a permis de mettre les terroristes sous pression, d'empêcher leur entraînement massif dans des sanctuaires, de les priver du savoir-faire indispensable au succès de leurs entreprises, et surtout d'inciter l'islam modéré à assumer sa part dans ce combat... C'est ainsi que l'on peut expliquer l'absence de pertes humaines majeures lors des derniers actes terroristes perpétrés au Maroc et en Grande-Bretagne.

La radicalisation du sunnisme s'est doublée de la radicalisation du chiisme d'Etat qu'incarne la mollarchie iranienne. En effet, la donne géopolitique consécutive au 11-Septembre a provoqué un raidissement du régime iranien, alors que la population avait voté, dès 1997, pour la rupture avec la révolution khomeyniste et l'élection d'un président Khatami, réformateur mais incapable d'honorer ses promesses. Le stationnement de troupes américaines aux frontières de l'Iran, en Afghanistan (2001) et en Irak (2003) comme le rejet des avances iraniennes de normalisation au lendemain de la chute de Bagdad ont raidi le régime des mollahs et débouché sur la mise en place d'un Parlement conservateur (2004), puis d'un président ultraradical (2005).

L'enlisement américain a donné l'impression aux dirigeants iraniens qu'ils bénéficient d'une opportunité historique pour étendre leur influence de la Caspienne à la Méditerranée (le "Croissant chiite"), suscitant une plus grande radicalisation des chiites, à qui les Etats-Unis venaient d'offrir le pouvoir en Irak, sans obtenir de reconnaissance en retour. Le président Ahmadinejad s'est mis à rêver à un empire régional qui unirait les forces des chiites d'Iran et d'Irak, les Alaouites de Syrie, le Hezbollah libanais et l'allié de circonstance, le Hamas palestinien (pourtant sunnite) ; d'entrer dans le club des puissances nucléaires ; de soumettre par intimidation les monarchies arabes du Golfe, tout en promettant de détruire Israël pour mieux flatter les foules arabes, dirigées par des régimes pro-occidentaux. Ces projets insensés ne tarderont pourtant pas à montrer leurs limites.

La révolution islamiste, dans sa version sunnite (Al-Qaida), peut continuer à faire couler le sang des musulmans et des "infidèles", à mobiliser de nouvelles recrues, à semer le chaos sur tous les continents... Tant qu'elle n'aura pas conquis un ou plusieurs Etats, elle restera une révolution inachevée et vouée à l'avortement. Or, le contrôle d'un Etat peut se révéler comme une mission quasi impossible dans la configuration internationale actuelle.

La révolution chiite néo-khomeyniste pèche par son messianisme et par une flagrante inadaptation entre ses moyens, plutôt modestes face à ceux de Washington, et ses ambitions illimitées. Elle veut tirer le meilleur profit de la guerre d'usure qu'elle a engagée et qui paralyse les Américains, alors que les conditions de vie des Iraniens sont celles d'un pays sous-développé.

Sonnée par la violence du choc subi le 11-Septembre et aveuglée par une perception idéologique du conflit, l'Amérique n'a pas su adapter sa réplique et s'est enlisée dans des guerres dont elle n'a pas évalué les difficultés. Les conditions d'un succès en Irak se sont évanouies. Et un retrait précipité donnerait le signal d'une guerre régionale de grande envergure entre les sunnites et les chiites. Les Etats-Unis sont devenus le double otage de Téhéran et de Ben Laden en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Liban et en Palestine.

Les conflits en cours entre la communauté internationale et les extrémistes sunnites (Al-Qaida) et chiites (l'Iran et ses alliés) sont appelés à redessiner la géopolitique de l'espace islamique. L'instabilité y est prévisible pour encore au moins deux décennies, sinon davantage. Si, dans un conflit classique, la puissance des armées est indispensable pour vaincre l'adversaire, la confrontation idéologique est déterminante dans l'affrontement actuel face à un ennemi qui a rarement une adresse connue et dont la "force" réside dans une interprétation haineuse et belliqueuse des enseignements d'une grande religion. La victoire dans la bataille des idées reste l'incontournable clé de voûte d'une issue positive à ces conflits.


Antoine Basbous est directeur de l'Observatoire des pays arabes.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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