27/03/2008 Texte

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Jeu de dupes entre la France et la Syrie, par Antoine Basbous

Bernard Kouchner déclarait dernièrement dans un journal allemand qu'il ne savait honnêtement pas quelle était la bonne stratégie à adopter face à la Syrie. La politique du régime syrien et son rapport à la France sont pourtant limpides : le Liban ne cesse de focaliser les tensions franco-syriennes. Damas tient à dissocier sa relation avec Paris de sa politique libanaise, car Bachar Al-Assad ne veut pas que l'ancienne puissance mandataire au Levant contrarie ses ambitions hégémoniques au Liban. La Syrie veut vassaliser le Liban, avec la bénédiction de la France et la consolidation des fonds d'aide européens. La constante de la politique syrienne se résume en quelques phrases : refus de la reconnaissance diplomatique du Liban, pourtant membre fondateur de l'ONU et de la Ligue arabe ; refus d'ouvrir une ambassade à Beyrouth - le Liban étant considéré comme la "province maritime de Damas" - et rejet de tout bornage des frontières, comme l'exige le Conseil de sécurité de l'ONU. Avec de telles constantes, il serait illusoire de croire que le régime répressif de Damas ait pu changer d'attitude le jour où le peuple français a changé de président, et qu'il puisse avoir été touché par la visite d'émissaires français finalement rentrés bredouilles. La Syrie cherche à démanteler la République libanaise. Année après année, elle a joué les pyromanes et entretenu les guerres intestines pour pouvoir jouer les pompiers, poussant les élites libanaises à l'exil pour les remplacer par des naturalisés, dont beaucoup étaient syriens. Elle a modifié le tissu social libanais, créé et armé de multiples formations politiques, dont la plus aboutie est celle coparrainée avec l'Iran, le Hezbollah. Aujourd'hui, le parti de Dieu, qui a vu le jour en 1983 par un décret signé de la main de l'ayatollah Khomeyni et qui se place depuis sous l'autorité directe du Wali El-Faghih, le Guide de la révolution iranienne, constitue un Etat dans l'Etat libanais, décide de la guerre et de la paix sans en référer à aucune autorité du pays du Cèdre. Il est le bras armé des pasdarans iraniens, désormais implantés sur les rives de la Méditerranée et à la frontière israélienne. Les slogans du Hezbollah, les tenues civile et militaire de ses partisans, les mots d'ordre, les points fermés levés vers le ciel, les portraits omniprésents des dirigeants iraniens et les appels répétés à leur succès, au début de chaque discours, attestent de cette filiation. L'investissement irano-syrien a payé : le Hezbollah a été la seule force arabe - et non régulière - à infliger à Tsahal une défaite, en 2006. Téhéran s'en sert également pour faire diversion dans son programme nucléaire, et Damas, pour torpiller le Tribunal international créé par le Conseil de sécurité pour juger les assassins de Rafic Hariri et démanteler les institutions libanaises : le pays est privé de président de la République depuis novembre 2007, le Parlement est confisqué, les forces de l'ordre sont presque neutralisées, afin d'instaurer le chaos et de plonger le pays dans une guerre civile. Malgré leur traumatisme de trente-cinq années de guerres et d'occupations, les Libanais ne peuvent s'exonérer de leurs responsabilités. Ils doivent réapprendre à reconstruire un Etat de droit. Le Hezbollah ne pourra être démantelé du jour au lendemain. Il devient un acteur incontournable et surtout un précieux relais du régime minoritaire alaouite de Damas, auquel il est désormais lié. La chute de l'un ne manquera pas d'entraîner celle de l'autre. D'où une alliance stratégique entre ces deux acteurs régionaux majeurs du "croissant chiite" dirigé par Téhéran. Deux cas de figure seulement pourraient pousser la Syrie à accepter l'élection d'un président au Liban. Le premier serait que la France, en représentante de l'Occident, et les pays arabes admettent que le Liban constitue "une province syrienne". Damas lui désignerait alors un "président de la République" avec le statut et les pouvoirs d'un sous-préfet. Le second cas serait d'engager un rapport de force avec la dictature héréditaire de Bachar Al-Assad pour le rappeler à la raison et le forcer à s'amender. Il est vrai que ce régime excelle dans l'art de la dissimulation et de la dissuasion, et qu'il est redouté pour avoir créé, parrainé et soutenu nombre d'organisations terroristes, du PKK kurde à l'Asala arménienne, en passant par des mouvements djihadistes et des organisations palestiniennes, irakiennes ou libanaises. Seuls les généraux d'Ankara l'ont obligé à plier, le jour où ils ont envoyé les chars à sa frontière (1998). Abdallah Öcalan a aussitôt été expulsé de Syrie et ses bases ont été démantelées. Certes, le régime syrien continue de faire peur et ses adversaires connaissent le coût exorbitant de leur opposition. Mais il est temps d'apporter une réponse à l'interrogation de Bernard Kouchner en profitant de la conjoncture : l'isolement de Damas au sein de la communauté arabe et l'agacement occidental face à l'irrédentisme syrien. Sans nécessairement recourir aux méthodes employées par la Syrie, la communauté internationale peut contenir Damas et stopper son rôle néfaste en se répartissant les tâches. Aux Arabes de placer le seul allié de Téhéran en quarantaine, à la veille du premier sommet arabe que doit abriter Damas fin mars ; aux Européens de parler d'une seule voix en bannissant les contacts bilatéraux contre-productifs, une spécialité de plusieurs Etats européens qui fréquentent Damas dans l'espoir de protéger leurs soldats participant à la Finul. La présidence française de l'Union européenne - qui coïncide avec la tenue à Paris du sommet de l'Union pour la Méditerranée - devrait s'efforcer d'arrêter une stratégie commune et de confier le dossier à un seul interlocuteur, en la personne de Javier Solana. Sans oublier l'indispensable coordination entre Arabes, Européens et Américains, et la nécessité de convaincre Israël d'abandonner sa politique du statu quo avec Damas, de peur de voir les Frères musulmans lui succéder. De François Mitterrand à Jacques Chirac, les dirigeants français ont tout essayé pour élaborer un partenariat avec les Assad, en vain. Nicolas Sarkozy devrait tirer les conclusions de cette expérience et de sa propre tentative pour emprunter des voies qui puissent ramener la Syrie à la raison. Avec en tête cette évidence : plus la détérioration de la situation du Liban sera grave, plus le coût de sa restauration sera élevé.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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