01/06/2004 Texte

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Ben Laden fait trembler les rois du pétrole

Au lendemain des attaques meurtrières d'Al Qaida en Arabie Saoudite

Al-Qaida multiplie depuis un an les attentats en Arabie Saoudite. Pourquoi ?

C'est l'aboutissement d'un processus qui mûrit depuis 1990, c'est-à-dire depuis l'invasion du Koweït et l'installation des forces occidentales en Arabie, en violation du testament du prophète (Mohamed) qui ordonnait d'expulser les impies, chrétiens et juifs de la Péninsule. Le roi Fahd et les oulémas du palais ont invoqué la « force majeure » pour justifier cette rupture. Cela a provoqué le divorce entre le palais et les oulémas wahhabites authentiques qui préféraient voir Saddam occuper le Koweït, et même l'Arabie, plutôt que de voir débarquer des impies pour combattre des musulmans. Les oulémas du palais, qui mènent des vies de princes, ne représentent pas la masse des Saoudiens qui est endoctrinée par les wahhabites purs et durs depuis neuf générations.

Oussama ben Laden veut chasser les Occidentaux de la terre sainte de l'Islam. Veut-il aussi remplacer les Saoud ?

C'est son but. Il se voit en calife qui applique la charia (la loi islamique) en Arabie, puis dans les autres territoires islamiques.

Quelle est sa puissance de feu ?

Al-Qaida a montré qu'elle peut frapper partout : à Riyad, à Yanbu sur la côte ouest, à Al-Khobar sur la côte est. Elle dispose de combattants expérimentés, formés au front en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, au Cachemire. Des gens endoctrinés, mécontents que le régime n'applique pas la loi islamique, et qui croient que le sacrifice leur vaudra le paradis et les vierges... Dans un récent DVD, où Al-Qaida annonce son programme pour l'Arabie, on voit des kamikazes et des armes de tous calibres dont un missile Sam-7. Ce qui signifie qu'ils sont capables de tirer sur des avions civils.

La monarchie semble avoir pris la mesure de la menace. Ces derniers mois, les forces de l'ordre multiplient les raids. Quelle est leur efficacité ?

On l'a vu ce week-end. Trois terroristes parviennent à s'enfuir du bâtiment d'Al-Khobar encerclé par l'armée. Il y a deux problèmes. Le premier, c'est la complicité entre les forces de l'ordre et les hommes de Ben Laden. Ce sont les mêmes hommes qu'on voit le matin à la caserne et l'après-midi, avec leur barbe et leur robe courte, rejoindre la moutawa, la police religieuse. À qui sont-ils fidèles ? La question se pose, car on a vu beaucoup d'armes passer de la Garde nationale aux islamistes insurgés. L'autre problème, c'est la compétence. Ce pays très riche dispose de beaux avions (de combat). Pas sûr que ce soit efficace contre le terrorisme. Entre la médiocrité et la complicité, je n'ose pas me prononcer. En tout cas, c'est une humiliation. Le pouvoir est déstabilisé, les gens ont peur, le malaise s'installe.

Avec quelles conséquences ?

Les expatriés se préparent à quitter en masse l'Arabie Saoudite. Sans les 50 000 ingénieurs étrangers, l'Arabie ne pourra plus exporter 10 à 12 millions de barils par jour.

Et la population saoudienne : de quel côté penche-t-elle ?

La monarchie s'est coupée de la population, parce qu'elle est restée sourde aux demandes de réformes. Les Saoud considèrent l'Arabie comme une propriété privée. Les dirigeants ont tous entre 78 et 90 ans, ne connaissent pas de langues étrangères, ne regardent pas le monde évoluer. Le ministre de l'Intérieur, le prince Nayef, est autiste à toute revendication: il a reçu il y a trois mois les avocats d'une monarchie constitutionnelle, a pris des notes et quand ils ont terminé, les a menacés : la prochaine fois, ce sera la prison. De ce fait, les Saoudiens voient ben Laden comme un superman qui frappe l'Amérique alors que le régime s'aplatit devant les Américains. Ben Laden représente la virilité, le défi, l'honneur.

Comment les Saoud vont-ils réagir ?

Le mois de juin verra probablement un réaménagement à la tête du Royaume. La pression terroriste a donné aux Saoud le sentiment qu'ils doivent avoir un roi légitime, car le roi Fahd est absent intellectuellement et le prince Abdallah, qui le supplée depuis 1996, n'a pas les moyens de se faire respecter. Abdallah devrait devenir roi et une nouvelle génération accéder aux postes clés, ce qui donnera un peu de visibilité au régime. Il y aura moins de résistance à l'action d'Abdallah sur des dossiers comme la corruption, le rapport de la famille royale avec les finances publiques.

Cela paraît insuffisant pour satisfaire les Américains qui réclament une démocratisation du Moyen-Orient...

Les Américains s'enlisent en Irak et restent donc très dépendants du pétrole de l'Arabie. De deux maux, ils vont choisir le moindre, les Saoud plutôt que ben Laden. Mais il n'est plus du tout sûr que les Saoud puissent maintenir seuls l'approvisionnement de l'économie mondiale. Ils se rendent compte que, dans un tête-à-tête avec ben Laden, ils perdront. Que leur survie dépend d'une protection internationale. Si les attaques d'Al-Qaida continuent, si les expatriés s'enfuient, si la capacité d'exportation de l'Arabie s'effondre, les Saoud devront faire appel aux pays amis - les Occidentaux, la Chine, le Japon - pour sécuriser l'extraction du pétrole. Au nom de l'interdépendance : il en va de dizaines de millions d'emplois dans le monde.

Propos recueilli par Bruno Ripoche

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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