17/11/2008 Texte

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Obama et l'islam, délicate équation

L'élection de Barack Obama a soulevé un vent d'espoir aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde musulman, où l'Amérique se trouve engagée sur plusieurs fronts depuis les attaques du 11-Septembre. Barack Obama arrive avec quatre atouts : le fait de succéder à un président honni, George Bush, ne peut que le servir ; le fait que son père l'ait appelé Hussein, son second prénom, qui est celui du petit-fils du prophète, ne peut que susciter la curiosité et la sympathie des musulmans, notamment des chiites ; le fait qu'il ait vécu une partie de son enfance dans des pays musulmans. Enfin, le fait qu'il soit métis rompt avec l'identification de l'Amérique à un pays d'impérialistes blancs. En outre, au cours des primaires, il a promis d'organiser un sommet entre les Etats-Unis et les pays musulmans pour traiter de l'incompréhension qui caractérise leurs relations. Malgré ces atouts, rien n'est gagné, car la politique internationale est une affaire de rapports de forces. Or, il ne suffit pas d'être beau et sympathique, métis et de père musulman pour réussir dans l'aire arabo-islamique. L'héritage désastreux du président Bush prive en effet son successeur tant de moyens de séduction que de répression. L'état des finances - publiques et privées -, du déficit et de la dette, est tel qu'il plonge les Américains dans le doute. L'onde de choc de la crise financière peut anéantir la croissance mondiale. Quant au recours à la force, on perçoit ses limites avec l'enlisement de l'armée américaine en Afghanistan et en Irak, et avec le discrédit de la puissance américaine au Moyen-Orient face à la montée de l'Iran. Dans ces conditions, il est difficile d'imaginer que l'armée américaine s'engage dans un nouveau conflit. Pour retrouver une marge de manoeuvre et permettre à l'économie de rebondir, la première mission d'Obama sera de rétablir la confiance chez les Américains. Il n'est donc pas dit que ces derniers continuent d'accepter que leur Etat dépense tant de milliards sur la scène internationale et néglige ses secteurs vitaux, comme la sécurité sociale ou l'enseignement. Avec la perspective d'un repli sur les préoccupations domestiques, de quels moyens les Etats-Unis disposeront-ils pour s'imposer à l'étranger ? Le candidat Obama a annoncé, avec raison, sa volonté de mobiliser les moyens nécessaires pour remporter la guerre en Afghanistan, et conjointement au Pakistan. Cette approche peut difficilement être contestable. En revanche, le retrait de l'armée américaine d'Irak en seize mois n'est pas seulement une utopie, ce serait une erreur qui ne manquerait pas de se traduire par une défaite stratégique pour les Etats-Unis. Un retrait prématuré d'Irak, avant qu'une armée nationale ne soit constituée et opérationnelle, livrerait le pays à l'influence de l'Iran et permettrait le retour triomphal d'Al-Qaida, alors même que le général Petraeus est parvenu à retourner la population sunnite contre l'organisation d'Oussama Ben Laden. Un retrait précipité affaiblirait aussi les alliés de l'Amérique dans la région et sonnerait le glas de la présence de bases américaines dans les pétromonarchies, indispensables à la stabilité du Golfe et des approvisionnements pétroliers. Quant aux négociations "inconditionnelles" avec l'Iran, préconisées par le candidat Obama, elles ne peuvent qu'être sanctionnées par un échec, à l'image de celles entreprises par les Européens et qui n'en finissent pas de jouer les prolongations. Or, pendant ce temps, l'Iran poursuit sa politique du fait accompli dans le domaine nucléaire, de même qu'il renforce son influence dans le "croissant chiite", qui s'étend désormais de la Caspienne à la Méditerranée en comprenant l'Irak post-Saddam, la Syrie alaouite, le Liban dominé par le Hezbollah, et même le Hamas palestinien, pourtant sunnite. Il faut reconnaître que cette domination iranienne est due aux erreurs de George Bush, dont le deuxième mandat a été marqué par l'affaiblissement de sa politique et par l'échec d'Israël face au Hezbollah en 2006. Le seul point positif est le retrait de l'armée syrienne du Liban, en 2005, obtenu il est vrai grâce à une étroite concertation avec le président Jacques Chirac. Mais cela risque de n'être qu'un repli, puisque Damas rêve de retour et engage des manoeuvres à cet effet. Contrairement aux attentes syriennes, Barack Obama et Nicolas Sarkozy ne doivent pas laisser faire. En outre, la satisfaction des attentes de l'Iran constituerait une victoire sans appel pour la République islamique. Elle renforcerait la poursuite de l'enrichissement ; la sanctuarisation du régime des mollahs ; la constitution d'un condominium régional, identique à celui qui était jadis en vigueur entre le chah et Washington ; et le retrait des bases américaines de la région. Les relations de Washington avec les monarchies sunnites du Golfe s'en trouveraient perturbées, ces bases permettant aussi d'endiguer l'hégémonie iranienne. Un éventuel repli américain d'Irak et de la région précipiterait ces pays dans l'orbite de Téhéran et permettrait à ce dernier de contrôler les deux tiers des réserves mondiales d'hydrocarbures. Enfin, Barack Obama a soulevé beaucoup d'espoir chez les Palestiniens - espoir qui s'est émoussé au fil de la campagne avec des positions de plus en plus proches d'Israël. La première nomination du président élu donne déjà le ton : c'est un Israélo-Américain qui a été placé à la tête de l'administration de la Maison Blanche. Il a servi dans l'armée de Tsahal et est connu pour son militantisme. Néanmoins, il n'est pas interdit d'espérer que M. Obama aborde la question israélo-palestinienne sur le terrain politique et non plus exclusivement sécuritaire, ce qui permettra aux Palestiniens de faire valoir leur droit à un Etat, aux côtés d'un Israël sécurisé. L'agenda des prochains mois n'est pas propice à la recherche de solutions puisque les Israéliens et les Palestiniens ont rendez-vous avec les urnes. En outre, le conflit israélo-palestinien ne devrait pas être la priorité de Barack Obama, d'abord préoccupé par le règlement des conflits où l'armée américaine se trouve déjà engagée. La crédibilité du nouveau président dans le monde musulman dépend pourtant du règlement de cette crise. D'autant plus que la réconciliation entre l'Amérique et les musulmans est indispensable pour mieux isoler et combattre l'idéologie islamiste belliqueuse qui considère la civilisation occidentale comme l'incarnation du "mal absolu". Finalement, ce qui menace le plus le nouveau président américain est une érosion rapide des espoirs qu'il a soulevés, parce que la conjoncture économique et l'image de Washington sont au plus mauvais et que l'homme arrive à la Maison Blanche dépourvu de la "carotte" et du "bâton" qui, par le passé, ont permis aux Etats-Unis d'asseoir leur puissance. Antoine Basbous est directeur de l'Observatoire des pays arabes.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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