02/05/2001 Texte

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Les acteurs qui comptent vraiment

Abdelaziz Bouteflika. A 64 ans, ce tribun talentueux, tour à tour charmeur et «père fouettard», compte sur sa «baraka» pour s'en sortir. Car, selon Antoine Basbous (1), spécialiste du monde arabe, Bouteflika a compris qu'il est «en première ligne»: l'explosion en Kabylie pourrait être révélatrice du «bras de fer» entre le chef de l'Etat et la hiérarchie militaire. La «bicéphalie actuelle», marquée par la coexistence du pouvoir civil et d'un cercle de généraux tirant les ficelles, «ne peut plus durer», poursuit Basbous. D'un côté, l'armée bloque les réformes «libérales» du gouvernement (la crise économique inspire aux manifestants kabyles bien des slogans) ; de l'autre, Bouteflika, cherchant à s'affranchir de la tutelle des généraux, dénonce leur «incapacité à éliminer le terrorisme».

La hiérarchie militaire. Véritable détentrice du pouvoir, elle refuse, notamment, de partager la rente pétrolière. Face à la montée des pressions (opinion, dirigeants civils, bailleurs de fonds étrangers) en faveur de réformes, elle aurait une réaction comparable, selon Basbous, à ce qui s'est passé en 1988 pour le président Chadli : « Il avait suscité des mouvements de rue qui se sont retournés contre lui. » L'objectif de certains aujourd'hui : pousser Bouteflika à la démission. Les généraux s'appuient sur le puissant (et très conservateur) syndicat UGTA (Union générale des travailleurs algériens). L'homme fort « sans conteste » de ce cercle étroit : Mohamed Mediene, surnommé « Toufik », chef des services secrets. « C'est, dit Basbous, la tête pensante du pays. » Autres personnalités : le général Mohamed Lamari, chef d'état-major de l'armée ; le général Larbi Belkheir, un des grands « décideurs », et l'incontournable Khaled Nezzar, qui a fait, la semaine passée, un aller et retour très controversé à Paris. Bien qu'à la retraite, ce général à la moustache grise est très consulté par des responsables « qui, pour la plupart, lui doivent leur place ».

Le Front des forces socialistes (FFS). Identifié au peuple kabyle et dominé par la stature de son leader charismatique Hocine Aït Ahmed, 75 ans (un des derniers chefs historiques de la guerre d'indépendance), le FFS, « seul parti à échapper au contrôle de l'armée », pâtit de la maladie et de l'absence d'Aït Ahmed. La preuve : ces jours derniers, ses appels au calme n'ont pas été suivis.

Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Malgré ses prétentions à l'universalité, c'est « l'autre » parti kabyle. Mais son chef, Saïd Sadi, aura du mal, même après la démission de ses amis du gouvernement, à se défaire d'une image d'homme « proche du pouvoir d'Alger ». Et certains soulignent que sa décision, qui contribue à isoler Bouteflika, conforte, du coup, la stratégie des généraux.

Les islamistes armés. Ils ont encore frappé hier (dix morts à Blida, à 50 kilomètres d'Alger). Sans doute l'oeuvre des Groupes islamistes armés (GIA) du chef Antar Zouabri, actifs dans la région de Blida et le Grand Ouest. Les GIA, formés de jeunes souvent incultes, flirtant avec la délinquance avant leur recrutement et infiltrés, selon certains experts, par les services secrets, gardent une capacité de « nuisance massive » : ils s'attaquent de préférence aux civils. Plus structuré, et tout aussi actif, apparaît le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) de Hassan Hattab. Il agit à l'est, en Kabylie notamment (on lui attribue l'embuscade qui a coûté la vie à cinquante militaires la semaine dernière), est composé de soldats déserteurs et cible, avant tout, des objectifs militaires. Les émeutiers de Kabylie, pourtant hostiles aux intégristes, ont scandé le nom de Hattab.

(1) Antoine Basbous est directeur de l'Observatoire des pays arabes et auteur de « l'Islamisme, une révolution avortée ? » (Hachette).

Propos recueillis par Henri Vernet

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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