12/10/2010 Texte

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Visite officielle du président iranien au Liban

Ahmadinedjad arrive en terrain conquis

La visite officielle du président iranien au Liban couronne un incontestable succès régional pour la République islamique. Qui l'aurait cru : le décret signé de la main de l'imam Khomeiny, portant création du Hezbollah au Liban en 1983, a permis à Téhéran de disposer d'une puissante milice qui a non seulement infligé deux défaites à Israël, mais qui se trouve sur le point de submerger le pouvoir à Beyrouth, voire d'imposer un changement de régime en sa faveur. Cette percée permet au Wali El-Faguih (Guide) iranien de disposer d'une armée de Libanais à ses ordres, aux portes d'Israël. Cette performance est le fruit de l'embrigadement de la communauté chiite libanaise (près de 30 % de la population). Le Hezbollah a été doté d'instructeurs pasdarans, de prédicateurs enflammés, d'armements sophistiqués et de financements généreux pour structurer une communauté, jadis reléguée au second plan par ses propres chefs féodaux. C'est donc en terrain conquis qu'arrive Ahmadinedjad. Il veut satelliser le Liban et lui offrir un armement iranien pour le détacher de ses amis arabes et occidentaux et l'engager à combattre Israël aux côtés du Hezbollah. Le Liban n'est qu'une pièce du puzzle tissé par un Iran qui affiche des ambitions nucléaires et qui a mis sur pied, depuis le renversement de Saddam Hussein (2003), un "croissant chiite" de la Caspienne à la Méditerranée. Sans oublier la mobilisation de multiples relais chiites dans les monarchies arabes du Golfe, tout comme en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen où les Houthi ont créé un sanctuaire aux portes de l'Arabie. Ce qui permet à l'Iran d'exercer une incontestable capacité de nuisance et de se présenter auprès de Washington comme le seul Etat capable de contenir les incendies de l'Afghanistan à l'Irak, en passant par la Palestine, le Liban, et le Yémen et de lui proposer un partenariat dans un "Yalta" régional. S'il est vrai que les Etats-Unis sont usés et affaiblis par les conflits engagés et par leur coût financier, que leurs alliés arabes font pâle figure, que l'Iran a amassé beaucoup de cartes entre ses mains, il est également vrai que la forte contestation intérieure délégitime une "mollarchie" atteinte d'une grande faiblesse économique comparable à celle de l'URSS à la veille de sa dislocation. Toutefois, la dynamique de puissance chiite submerge la région avec ses deux têtes, l'Iran et la Syrie. Tout laisse croire que Damas, avec l'aide de Téhéran, prépare un retour triomphal au Liban pour laver l'humiliation de son retrait précipité en avril 2005, au lendemain de l'assassinat de l'ancien premier ministre, Rafic Hariri. La lente reconquête du pays du Cèdre – dont plusieurs dirigeants ont perdu l'immunité face aux avances des puissances étrangères, tel un malade qui se laisse envahir par le VIH – est sur le point d'être parachevée. La dynamique patriotique de 2005 s'est effritée. Le Hezbollah a repris l'initiative en lançant, coup sur coup, une guerre contre Israël pour se légitimer (2006), puis en assiégeant le Grand Sérail à Beyrouth pour empêcher la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) instauré par le Conseil de sécurité sous le chapitre VII, et chargé de juger les assassins de Hariri, avant d'envahir les quartiers sunnites et une partie de la Montagne (2008). UN FEU DORMANT Le nouvel ordre issu de cette succession de coups de force de la milice chiite, avec la complicité du général Michel Aoun qui lui a fourni une couverture nationale, bute maintenant sur le TSL. En effet, le Hezbollah et la Syrie, qui se trouvent sans doute dans le collimateur du TSL, ont décidé de le torpiller sous prétexte qu'il risque de fonder ses accusations sur de faux témoignages. A cet effet, le chef du Hezbollah a multiplié les menaces et les intimidations, en promettant, avec beaucoup d'arrogance, de recourir à la violence. Or, la donne régionale et internationale a bien changé : le Liban est abandonné par ses amis traditionnels. Paris a misé sur la Syrie pour la dissocier de l'Iran et reprendre pied dans le processus de paix. Washington a besoin d'elle pour quitter l'Irak. Mais on découvre que Damas continue à jouer son rôle de pyromane-pompier, à consolider son alliance avec Téhéran et à confiner la France à un rôle de soutien à la Turquie dans le processus de paix ! Le Liban se retrouve au bord d'une guerre civile entre les Sunnites attachés au TSL qui doit juger les assassins de leur chef, et les Chiites déterminés à le torpiller de peur qu'il ne désigne le Hezbollah comme coupable. L'impunité des assassins est au cœur des enjeux. La visite d'Ahmadinedjad au Liban, avec ses discours messianiques qui frôlent parfois l'hystérie, risque bien de jeter de l'huile sur un feu dormant, qui n'attend qu'une étincelle pour s'enflammer.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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