16/03/2011 Texte

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Le printemps arabe est loin d'être terminé

Kadhafi semble sur le point de mater la rébellion; le régime de Bahreïn se durcit, on ne parle plus des contestataires iraniens depuis longtemps... Assiste-t-on à la fin du printemps arabe ? Antoine Basbous, fondateur de l'Observatoire des pays arabes, ne le pense pas. Le printemps arabe touche-t-il à sa fin? En Libye, Kadhafi semble sur le point de mater la rébellion; à Bahreïn, le régime se durcit, déclare l'état d'urgence et fait appel aux armées de ses voisins pour faire taire les manifestants, on ne parle plus des contestataires iraniens depuis longtemps... Antoine Basbous, fondateur de l’Observatoire des pays arabes (OPA), explique pourquoi le "printemps" est loin d’être terminé. Pendant que l'attention du monde est tournée vers le Japon, la situation en Libye a l'air de tourner à l'avantage de Kadhafi... Est-on entrain de vivre un tournant ? Antoine Basbous: Il est évident que le séisme et le tsunami ont détourné les regards vers la menace nucléaire qui s'est emparée du Japon. Mouammar Kadhafi profite de ce détournement de l'attention pour avancer plus rapidement contre les rebelles. Il profite aussi des tergiversations de la communauté internationale : déclarations contradictoires des dirigeants américains, tiédeurs et divisions des dirigeants européens. Les enjeux en Libye sont moins économiques que liés à la gouvernance, aux libertés. De ce fait ils sont moins inquiétants pour la communauté internationale qu'un éventuel embrasement dans le golfe Arabo-Persique. Quand la Libye est hors jeu, c'est 1,2 millions de barils/jour qui sont à l'arrêt. Si l'Arabie était déstabilisée par ses minorités ou par le prolongement des troubles de Bahreïn à sa côte est, 9 à 13 millions de barils/jour seraient hypothéqués. Les Américains qui sont déjà engagés en Irak et en Afghanistan, et qui veulent s'en retirer, ne vont pas s'engager sur le vaste territoire libyen. Ils veulent garder leur capacité d'intervention pour agir dans le Golfe si cela se révélait nécessaire. Quant aux Européens, ils devraient être capables de maîtriser une situation à leurs portes sans faire appel aux Américains... Mais pour l'instant, ils sont très frileux. On a l'impression que Kadhafi est vraiment entrain de remettre la main sur le pays... Les opposants ont-ils encore la moindre chance ? Kadhafi est politiquement mort, même si l'on n'a pas encore publié le faire part. Militairement, il bénéficie encore de sa supériorité - il a des chars et des avions - et il est entrain de reconquérir l'est du pays. Mais l'ampleur de la contestation intérieure montre que c'est un homme qui a fait faillite. À l'étranger, les arabes l'ont condamné via le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et la Ligue arabe. La communauté internationale lui a imposé des sanctions, le tribunal pénal international lui réclame des comptes, ses avoirs sont bloqués... C'est un chef d'Etat qui a perdu la face, son règne est en sursis. Mais, effectivement, il est déterminé à reconquérir le pays. S'il arrive aux portes de Benghazi, s'il décide d'entrer dans la ville, de faire face aux insurgés très organisés, ce sera un massacre. Kadhafi est donc un cadavre politique qui peut encore faire beaucoup de dégâts. Pendant longtemps, si la communauté internationale n'intervient pas militairement... La communauté internationale a agi sans prendre les armes. Kadhafi est soumis à un blocus de toutes natures. La seule chose qui aurait pu lui faire du mal, ce sont des raids contre son aviation. La communauté internationale n'a pas encore pris cette décision, mais cette option reste possible. Vous dites que Kadhafi est mort politiquement. Pour un dictateur, être soutenu par l'armée, n'est-ce pas suffisant pour régner ? Il n'a pas vraiment d'armée: il a des brigades bien éaquipées qui sont commandées par ses fils parce qu'il ne fait pas confiance à l'armée. Sa supériorité est uniquement due au fait qu'il a l'aviation, des chars et des mercenaires. À Bahreïn, le régime met en place l'état d'urgence, fait appel aux armées de ses voisins pour faire taire les manifestants... Le durcissement semble l'emporter sur les revendications des manifestants. L'opposition à Bahreïn a paralysé le pays pendant plusieurs semaines. Elle a des revendications justes, et la famille royale - issue des minoritaire - est assez divisée. C'est dans le cadre d'un traité de défense entre les 6 monarchies du Golfe que les Saoudiens et les Emiriens ont envoyé des soldats à Bahreïn. C'est évidemment un signal de durcissement. La crise de Bahreïn est d'autant plus complexe qu'elle ne se limite pas aux enjeux nationaux. Sur le plan régional, l'Iran est sensible à la cause des chiites à Bahreïn. Et si les chiites amis de Téhéran l'emportaient sur le régime sunnite, ils pourraient fermer la base américaine de Manama qui abrite la Ve flotte et contaminer les chiites d’Arabie qui campent sur les gisements de pétrole. En Iran, justement, après un léger retour dans les rues de la contestation politique, la fibre révolutionnaire semble s'estomper avec le temps... Le tsunami arabe auquel on assiste aujourd'hui est né en juin 2009 à Téhéran. Mais l'Iran l'a réprimé dans le sang et a réussi à ce que la contestation n'ait pas d'effets. La jeunesse qui veut rompre avec la mollarchie parvient d'autant moins à s'exprimer que la répression est très forte, très sophistiquée, et que les principaux dirigeants de la contestation - Moussavi et Karoubi - sont entre prison et résidence surveillée. Le Yémen semble encore le pays où l'esprit du "printemps arabe" semble le plus résistant... Je pense que le régime est terminé. Ali Abdallah Saleh vit ses dernières semaines au pouvoir. Il a le choix entre remettre le pouvoir, avec peu de dégâts, à son demi-frère, qui est beaucoup plus accepté que lui. Ou bien partir à l'issue d'une guerre civile terrifiante qui a déjà commencé. Malgré le détournement de l'attention internationale, le printemps arabe n'est donc pas terminé... Non. Il y a des tempêtes dans le printemps arabe. Cela ne passera pas comme une lettre à la poste: il y aura des révolutions, des contre-révolutions, des guerres civiles. Nous rentrons dans une phase rude de contestation et de changement. Mais l'issue de chaque printemps va conditionner ceux qui vont suivre. Si Kadhafi remporte une victoire militaire, il va permettre à d'autres dictateurs de tenter de s'imposer par la force. Les deux premières expériences - Tunisie, Egypte - ont été relativement douces. Ici, on s'inscrit dans une autre logique. Beaucoup de dictateurs se réjouissent que Kadhafi résiste. Ils l'épaulent même - c'est le cas de la Syrie - en espérant créer un précédent qui les aiderait à résister de la même manière à un soulèvement. Les deux révolutions réussies - Egypte et Tunisie. Vraie démocratisation ? La Tunisie me semble un laboratoire qui a de vraies chances de réussite, dans la mesure où c'est un pays homogène, composé de gens éduqués, très tourné vers l'Europe... L'Egypte, c'est très différent. Des minorités actives peuvent surgir et contrôler un espace politique important parce que la majorité silencieuse ne s'organise pas pour dire ce qu'elle a à dire. On l'a vu avec les tueries de Coptes. On le voit avec le fait que le chef de la Gamaa al-Islamiya n'exclut pas de se présenter à la présidence de la République. L'organisation qui avait assassiné Sadate se trouve aujourd'hui en odeur de sainteté...

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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