29/04/2011 Texte

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Trente ans de relations complexes entre les présidents syriens et français

La Syrie fait peur. Elle a une capacité de nuisance internationale.

Les images sanglantes d'amateurs en provenance de Syrie – d'où les journalistes ont été expulsés – remettent l'autoritarisme du régime de Bachar Al-Assad sous les feux de l'actualité. Pourtant, depuis le bain de sang à Hama en 1982, l'Occident sait, sans toujours oser le dénoncer, que toute forme d'opposition est réprimée par la force en Syrie. La France entretient avec les dirigeants de la famille Assad une histoire aussi complexe que les intérêts géopolitiques qui la sous-tendent. Retour sur les dates clés des relations tumulteuses entre la France et la Syrie depuis François Mitterrand. 1982 : LE SILENCE DE MITTERRAND SUR LE MASSACRE DE HAMA En février 1982, les troupes d'Hafez al-Assad, le père de l'actuel président, encerclent la ville de Hama, dans l'ouest du pays. L'insurrection orchestrée par les Frères musulmans est écrasée dans le sang. Au moins 20 000 personnes sont tuées. Cependant, le président François Mitterrand, fraîchement élu, ne condamne pas cette répression féroce. Selon Didier Billion, directeur des publications à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste du Proche-Orient, intervenu en chat sur LeMonde.fr, "la France considérait qu'il valait mieux fermer les yeux sur le massacre plutôt que de soutenir les Frères musulmans". Mais ce silence n'aurait pas seulement été motivé par la crainte occidentale des Frères musulmans. "La politique syrienne de la France a toujours été commandée par les intérêts de la France au Liban, analyse Caroline Donati, auteure de L'Exception syrienne, entre modernité et résistance (La Découverte, 2009)." 1983 : L'ATTENTAT DU "POSTE DRAKKAR" Au matin du 23 octobre 1983, à Beyrouth, cinquante-huit casques bleus français meurent dans l'explosion de leur quartier général, le "poste Drakkar". Quelques minutes plus tôt, un autre attentat avait détruit le QG américain, tuant 239 soldats. Beaucoup y voient la main de la Syrie. Mais alors que vingt-cinq ans plus tard, les familles des victimes s'offusquent de la présence de Bachar Al-Assad à Paris en juillet 2008, une source élyséenne réplique, dans un article du Monde : "C'est une erreur historique! Le Drakkar, c'était l'Iran! La Syrie, c'était l'ambassadeur de France Delamare." Ce représentant de la France au Liban avait été assassiné, le 4 septembre 1981, à Beyrouth. Un an après l'attentat contre les casques bleus, le 26 novembre 1984, François Mitterrand se rend pourtant en Syrie. Pour le politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes, Antoine Basbous, le président socialiste "méprisait les méthodes mais respectait Hafez Al-Assad". 1999 : JACQUES CHIRAC, "COACH" DU JEUNE BACHAR En 1994, Bassel Al-Assad, fils aîné d'Hafez, qui devait hériter du pouvoir syrien, meurt brutalement dans un accident de voiture. Son petit frère, Bachar, arrête ses études d'ophtalmologie pour se préparer à prendre la succession. En formation militaire accelérée, il est catapulté, en quatre ans, de commandant d'un bataillon de chars à colonel de l'armée de l'air. Pour son entrée sur la scène internationale, il peut compter sur le soutien de Jacques Chirac qui le prend sous son aile. Le 7 novembre 1999, le président français reçoit à l'Elysée le jeune homme de 34 ans. Un an plus tard, Jacques Chirac est le seul chef d'Etat occidental à assister aux funérailles d'Hafez Al-Assad. "Jacques Chirac a coaché Bachar Al-Assad, comme il l'a fait avec le jeune Mohamed VI", assure Antoine Basbous. A ses débuts, Bachar Al-Assad jouit d'une image de réformateur. Cependant, en 2004, ses manœuvres pour faire réélire Emile Lahoud à la tête du Liban irritent. En marge du 60e anniversaire du débarquement en Normandie, Jacques Chirac lance, avec George W. Bush, une initiative diplomatique qui débouche sur la résolution 1559 des Nations unies dirigée contre la Syrie. Adopté le 2 septembre 2004, le texte exige le retrait des 15 000 soldats syriens du Liban et la fin de l'ingérence de Damas dans ce pays. Un tournant dans la diplomatie française. DEPUIS 2005 : LES VIRAGES DE SARKOZY Le 14 fevrier 2005, l'ancien premier ministre du Liban, Rafic Hariri, est tué dans un attentat à l'explosif contre son convoi à Beyrouth. La communauté internationale y voit encore une fois la main de la Syrie. Six ans plus tard, le tribunal spécial pour le Liban n'a toujours pas désigné ni jugé les coupables. Ami intime de Rafic Hariri, Jacques Chirac fait tout, jusqu'à la fin de son second mandat, pour isoler diplomatiquement la Syrie. Aujourd'hui encore l'ancien président de la République loge dans un appartement de la famille Hariri, sur les bords de Seine, à Paris. Mais sitôt élu, le président Nicolas Sarkozy opère un virage très net en faveur d'une réhabilitation diplomatique de la Syrie malgré l'assassinat à Beyrouth, le 19 septembre 2007, d'Antoine Ghanem, député libanais antisyrien. "L'assassinat, c'est pas une méthode !, clame le président français six jours plus tard, en marge d'une réunion à l'ONU. La France fera tout pour qu'un jour ou l'autre, les assassins aient à rendre compte. Il va bien falloir un jour que les masques tombent." Néanmoins, le 4 novembre 2007, le chef de l'Etat français envoie Claude Guéant, à l'époque secrétaire général de l'Elysée, ainsi que son conseiller diplomatique, Jean-David Levitte, en émissaires à Damas. Une enquête du Monde revient alors sur ce réchauffement des relations diplomatiques que l'Elysée justifie comme uniquement lié à la volonté de trouver une solution pour l'élection d'un président au Liban. Le 20 novembre, Nicolas Sarkozy lui-même appelle Bachar Al-Assad et Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique, déclare : "Nous avons estimé, et c'est là un point de rupture par rapport à une époque passée, que nous ne risquions rien en allant dialoguer avec la Syrie". Et pourtant, le 30 décembre 2007, face à l'absence de gages de bonne volonté syriens sur le dossier libanais complètement bloqué, Nicolas Sarkozy annonce la rupture des contacts avec Damas jusqu'à nouvel ordre. Jusqu'au 29 mai 2008, en fait, date à laquelle le président français fait savoir qu'il a de nouveau décroché son téléphone pour joindre Bachar Al-Assad. Selon l'agence officielle syrienne Sana, Nicolas Sarkozy a rendu " hommage" au rôle de Damas dans la conclusion, le 21 mai, d'un accord entre partis libanais qui a permis, quatre jours plus tard, l'élection à la tête du pays de Michel Sleimane. Le 15 juin, Claude Guéant et Jean-David Levitte sont de retour à Damas et invitent Bachar Al-Assad à Paris pour le sommet de l'Union pour la Méditerranée qui se tient en juillet. "Le président syrien n'est pas un parfait exemple en matière de respect des droits de l'homme, mais il a fait des efforts", indique l'Elysée au Monde, le 3 juillet. Deux jours plus tard, dans la prison de Saydnaya, au nord de Damas, où sont enfermés des centaines de prisonniers politiques, une mutinerie est réprimée dans le sang. D'après les estimations des militants des droits de l'homme syriens vivant en exil, entre 9 et 25 prisonniers auraient été tués (article accessible aux abonnés du Monde). Toutefois, le chef d'Etat syrien est bien présent au sommet du 13 juillet et le lendemain, malgré la controverse, il assiste au défilé du 14 juillet dans la tribune officielle. 2011 : DES FREINS À LA DÉNONCIATION DE LA RÉPRESSION SYRIENNE Depuis la mi-mars de cette année, 450 personnes sont mortes, selon un groupe de défense des droits de l'homme, lors de la répression de manifestations contre le régime syrien. Les 27 pays de l'Union européenne se réunissent, vendredi 29 avril, pour discuter d'éventuelles sanctions. Le même jour, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU tient une session spéciale sur la Syrie alors que la France n'appelle pas clairement au départ de Bachar Al-Assad. "La realpolitik va t-elle-encore permettre au régime de s'en tirer?, s'interroge Caroline Donati. Les Français vont-ils continuer à privilégier la stabilité du Liban ou vont-ils s'impliquer comme ils l'ont fait en Tunisie et en Libye ?" Mercredi, l'ambassadrice de Syrie en France, Lamia Chakkour, a été convoquée au ministère des Affaires étrangères pour se voir signifier la condamnation de la répression. Pourquoi des mesures si timorées ? "Les raisons invoquées par les diplomates occidentaux pour expliquer cette grande réserve de critiques contre Bachar Al-Assad sont l'absence d'opposition, tient à préciser Caroline Donati. Celle-ci est fragmentée mais compte des figures importantes et respectables." Autre frein important à toute critique envers le régime syrien : le pouvoir des services de sécurité en Syrie. Sur le plan intérieur, les "moukhabarat ", la police secrète, quadrillent et surveillent méticuleusement le territoire et font tout actuellement pour faire cesser, dans le sang, l'insurrection anti-Assad. De plus, si les Etats-Unis ont notamment pu compter sur l'active coopération de Damas dans la traque des membres d'Al-Qaïda après les attentats du 11 septembre 2001, les connexions historiques de la Syrie avec des groupuscules terroristes rentrent dans la réflexion quant à une éventuelle action pour destituer Bachar Al-Assad. Pour Antoine Basbous, "la Syrie fait peur. Elle a une capacité de nuisance internationale." Paul Larrouturou

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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