13/08/2011 Texte

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Antoine Basbous : «La fin du régime de Bachar Al Assad est une question de temps»

- Plusieurs mois se sont écoulés depuis le début du soulèvement populaire en Syrie, et le régime de Bachar Al Assad se maintient grâce à la répression. Quelle lecture faites-vous de la situation ? En refusant toute réforme politique, le régime d’Al Assad s’engage droit vers une impasse. Trop de sang a coulé. Le recours à la force ne fait que renforcer la contestation populaire… - Qu’en est-il alors des mesures annoncées récemment, comme par exemple l’instauration d’une loi autorisant le multipartisme ? C’est une pure ruse qui a pour objectif de gagner du temps. Il autorise la création des partis politiques tout en gardant ceux qui tiennent le pouvoir. En réalité, il veut créer des partis satellites. Il a limogé quelques responsables mais sans pour autant aller vers de vrais changements, raison pour laquelle, les gens n’y croient plus. Ils ne font plus confiance au système qui recourt aux chars pour réprimer des manifestants pacifistes … - N’allons-nous pas vers le scénario à la tunisienne ? Pas du tout. En Tunisie, la sécurité n’était pas entièrement entre les mains de la famille de Ben Ali ou des proches de son épouse. En Syrie, le système est fondé sur la suprématie des alaouites. Cette famille a la main mise sur les piliers du régime dans le but de se maintenir. La répression a de tout temps été utilisée comme moyen de mise au pas des opposants. Aujourd’hui, cette recette ne peut plus donner les résultats d’antan. Les gens n’ont plus peur comme avant. Des intellectuels, des muftis, des responsables de sécurité et des notables ont exprimé publiquement leur opposition aux pratiques du régime. Même les pays riverains, notamment les monarchies du Golfe, qui ont pour habitude de garder le silence, ont critiqué le recours à la force et exigé la fin de la répression. Bachar Al Assad n’a d’autress soutien que l’Iran et le Hezbollah. Il va continuer à utiliser la force contre sa population, et la situation pourrait basculer vers une vraie guerre civile. - Cela ne risque-t-il pas de provoquer un effet domino sur les pays de la région, notamment les monarchies du Golfe dont les réactions ont été très sévères contre Al Assad ? En fait, ces monarchies ne peuvent plus rester silencieuses face à ce qui se passe en Syrie, d’autant plus que les médias lourds qui font l’opinion de leurs pays soutiennent la population syrienne. Elles sont dans l’obligation de réagir contre ces images retransmises par de grandes chaînes de télévisions montrant des chars tirant sur des manifestants. Garder le silence face aux nombreux morts qui tombent quotidiennement pourrait se retourner contre elles. En dénonçant les pratiques du régime d’Al Assad, elles ont plus à gagner qu’à perdre. - Pourtant, elles faisaient partie de ses alliés incontournables dans la région ? C’est vrai qu’avant, les monarchies du Golfe le ménageaient beaucoup, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, il est lâché par tous ses alliés. La légitimité arabe dont il se prévalait ne lui rapporte plus rien. Il ne peut plus faire marche arrière, c’est trop tard, entre temps, il y a eu trop de morts. Il ne peut plus avancer, parce que personne ne le croit. Il est vraiment sur le chemin de l’impasse… - Pensez-vous que sa fin soit une question de temps ? Je dirais que le temps est contre lui, parce qu’au fil des évènements et en dépit de la répression, la contestation s’accentue et gagne de nombreuses régions du pays. Parallèlement, la situation économique va de mal en pis. Le tourisme s’est arrêté et les échanges commerciaux également. Si demain les gisements gaziers sont paralysés, le régime ne trouvera plus les fonds pour financer la machine de guerre et surtout pour faire face aux pénuries déjà fortement ressenties dans plusieurs villes du pays. Avant, il pouvait obtenir des fonds auprès des monarchies du Golfe qu’il faisait chanter. Aujourd’hui, ces dernières ne sont plus en mesure de lui donner quoi que ce soit. Auprès de l’Iran, Al Assad ne peut rien avoir, vu l’embargo auquel le pays est soumis, et il en est de même pour le Hezbollah, qui ne peut financer une quelconque opération. Ainsi, Al Assad se voit privé de toute aide. La crise financière à laquelle il fera face, lui sera fatale… - Y a-t-il une relation entre les révolutions arabes et les mouvements sociaux de contestation populaire qui secouent de nombreux pays européens ? La crise financière qui secoue le monde actuellement est la même que celle qui a frappé les places boursières au mois d’août 1987. Pourtant, celle-ci n’a pas été précédée par des révolutions arabes. Rappelez-vous, toutes les bourses se sont effondrées au bon gré des évènements de l’époque. Mais, il y a une réalité qu’il faut prendre en compte. Le système financier international a été lourdement affecté par les attentats du 11 septembre 2001 qui ont suscité des guerres en Afghanistan puis en Irak, et produit un excès d’utilisation de la ressource financière et d’endettement, ceci d’une part. D’autre part, il y a bien sûr la mauvaise gestion de la finance chez certains pays européens… - Pourtant, cette crise a été suivie par des manifestations populaires très violentes notamment en Grèce, en Italie, en Espagne et au Portugal... Effectivement, ces pays sont touchés par des crises de chômage et de croissance mal gérées. En Espagne, on a construit des villes entières restées sans acquéreurs. L’investissement a été focalisé sur le béton au détriment des secteurs productifs. Les crédits à la consommation ont explosé. Inévitablement, ce sont les pays les plus fragiles, surtout ceux du sud de l’Europe, qui supportent les contrecoups de la crise. Les autres, comme l’Allemagne et les pays nordiques, dont les finances se portent mieux, ont été épargnés. - Certains économistes affirment que la monnaie unique (euro) est à l’origine de la vulnérabilité des Etats du sud de l’Europe. Qu’en pensez-vous ? Lors de la crise de 1987, il n’y avait pas l’euro, mais c’était le modèle de la bourse financière internationale qui était remis en cause. Après l’entrée de l’euro, des pays ont menti sur les chiffres de leur économie et vécu au dessus de leurs capacités financières réelles. Ils pensaient être protégés de toute crise grâce au parachute «euro» nouvellement instauré. Le principe de base en économie, à savoir : ne jamais dépenser plus que ce que l’on gagne, n’a pas été respecté. Mais à côté, la rigueur en matière de gestion des finances que les pays nordiques ont imposée a épargné cette région du danger. - Comment la zone euro va-t-elle s’en sortir alors ? Cette crise va contraindre les politiques à donner plus de prérogatives à la Banque centrale européenne afin de lui permettre de prendre les mesures adéquates en temps réel en cas de crise. A la Banque fédérale américaine, il n’y a qu’un seul homme qui décide. Il est en contact direct avec le président Barak Obama, qu’il voit régulièrement. En Europe, le patron de la Banque centrale s’en réfère aux Etats membres de l’Union, et ces derniers sont obligés de prendre l’avis de leurs dirigeants politiques. En attendant, la crise aura tout balayé sur son passage. On a mis en place une monnaie unique sans réfléchir à sa protection. L’Union est consciente, qu’aujourd’hui, il faut mettre en place des mécanismes de protection contre la spéculation et permettre une prise de décision à chaud et non pas à froid, c’est-à-dire une fois que c’est trop tard. Salima Tlemçani

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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