19/11/2011 Texte

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L’exil doré d’Hannibal Kadhafi

Le fils de l’ancien guide libyen vit dans une zone résidentielle sécurisée, à l’ouest d’Alger. La protection dont il bénéficie irrite le défenseur genevois des deux domestiques qu’il a maltraités. Entré en Algérie fin août avec son épouse, son frère Mohammed, sa sœur Aïcha et sa mère Safia, Hannibal Kadhafi vit aujourd’hui «dans une villa à l’ouest d’Alger», affirme Fayçal Metaoui, journaliste au quotidien francophone algérien El Watan. Il contredit ainsi Sliman Bouchuiguir, ambassadeur de la nouvelle Libye en Suisse, qui localise les Kadhafi dans le sud-est algérien (LT du 17.11.2011). «Je suis formel, tous ont été remontés au nord après qu’Aïcha a mis au monde une petite fille», avance Fayçal Metaoui. «Villa à l’ouest d’Alger» est une formule usuelle pour ne pas dire «Club des Pins», célèbre station balnéaire d’une cinquantaine d’hectares située à une vingtaine de kilomètres de la capitale. La population appelle «l’autre Algérie» cette zone interdite où la classe dirigeante se barricade derrière des lignes de barbelés. L’ancien guide libyen y planta sa tente à plusieurs reprises, non loin du très luxueux hôtel Sheraton. Sa veuve et ses enfants y sont aujourd’hui logés dans l’une de ces belles résidences occupées à l’année par la hiérarchie militaire et ses relais civils. La presse locale n’en parle pas, en vertu d’un accord tacite avec le régime. La famille Kadhafi, qui était brièvement sortie du silence pour dénoncer le lynchage du colonel, a été priée de ne plus faire aucune déclaration. L’Algérie a annoncé avoir accueilli sur son sol trois des enfants de Kadhafi «pour des raisons strictement humanitaires». Une initiative critiquée par bon nombre de chancelleries occidentales, qui ont qualifié d’«ambiguë» l’attitude de l’Algérie pendant le conflit libyen, et ont regretté ses atermoiements pour reconnaître le Conseil national de transition (CNT). «L’Algérie déteste l’inconnu, surtout à ses frontières. Aussi remuant et imprévisible fut-il, Kadhafi était le gage d’une certaine stabilité», avance le politologue Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. On évoque aujourd’hui un possible transfert des Kadhafi vers un pays tiers, Venezuela, Afrique du Sud, Nord-Soudan, voire la Croatie, où Safia a des attaches familiales. Juridiquement, cela ne posera pas de problèmes car, rappelle Antoine Basbous, «la famille Kadhafi, qui n’est pas réclamée par la justice internationale, peut voyager». Con­trairement à un autre fils Kadhafi, Saïf al-Islam, visé par un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité et qui se trouverait au Niger. En revanche, une extradition vers la Libye des hôtes de l’Algérie ne semble pas d’actualité. «Alger doit s’assurer qu’ils ne seront pas victimes d’une justice pour le moins expéditive. Quand on voit le sort réservé à Mouammar Kadhafi, rien ne le garantit», observe Fayçal Metaoui. Alger a offert pour le même motif l’hospitalité à l’ancien ambassadeur de Libye en Algérie. L’avocat François Membrez, défenseur des domestiques maltraités par Hannibal Kadhafi dans un hôtel genevois, trouve «choquante et incompréhensible» la protection dont bénéficie le clan de l’ancien dictateur: «Le seul destin d’Hannibal est d’être traduit devant la justice libyenne. Il doit répondre de tous les crimes qu’il a commis et de ceux qu’il a commandités. Mes clients pourraient alors déposer une nouvelle plainte, même si pour le moment ils semblent vouloir tourner la page.» Le Ministère public de la Confédération, qui a ouvert une enquête pénale pour prise d’otage dans l’affaire des deux otages suisses Rachid Hamdani et Max Göldi, pourrait adresser des demandes d’entraide judiciaire à Tripoli, mais cela «n’a pas encore été fait en raison de la situation prévalant actuellement dans ce pays», indique la porte-parole, Jeannette Balmer. Autre alternative pour les enfants Kadhafi: leur maintien en Algérie, qui pourrait envenimer les relations entre Alger et le CNT, mais qui placerait le président Abdelaziz Bouteflika en position de force pour faire pression sur Tripoli. Car l’Algérie s’inquiète du nombre d’armes aujourd’hui en circulation le long de sa frontière avec la Libye, qui pourraient tomber entre les mains de groupes terroristes. «Kadhafi avait acheté pour tous ses clients africains, en échange de certains services, farine, véhicules 4x4 climatisés mais aussi un arsenal impressionnant. Les stocks ont été dévalisés», indique Antoine Basbous. Mokhtar Belmokhtar, l’un des chefs d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique), a affirmé récemment à un organe de presse mauritanien que ses hommes avaient été «les plus grands bénéficiaires de la crise libyenne», en armement notamment. Christian Lecomte

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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