16/12/2002 Texte

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Les incertitudes de l'après-Saddam - Entre le meilleur et le pire

Face à la suprématie technologique et à la détermination des Etats-Unis, Saddam ne peut opposer que la ruse : il se montre très conciliant, «avale les couleuvres», accepte l'humiliation pour échapper à la guerre... En attendant l'arrivée de la saison chaude qui rendra plus difficile un conflit qui obligerait les soldats d'enfiler des combinaisons de protection contre les armes non conventionnelles. Ce faisant, il aura gagné un an. Puisqu'à l'automne 2003 George Bush sera engagé dans le renouvellement de son mandat et accordera la priorité à l'économie.

Mais en cas d'attaque américaine, Saddam tentera de s'évaporer dans une grande ville afin d'organiser la résistance du dernier carré de ses fidèles qui auront tout à perdre avec lui. Cette posture est censée faire durer la guerre et enliser les forces américaines dans l'attente d'inévitables bavures qui ne manqueraient pas de soulever les opinions publiques arabes et occidentales.

Dans cette hypothèse, l'armée américaine courrait deux lièvres à la fois : à la chasse de Ben Laden s'ajouterait alors celle de Saddam. Et l'Irak rejoindrait l'Afghanistan comme foyer d'instabilité où les Américains tenteraient de faire régner l'ordre. Leurs lignes de défense seront allongées, au risque d'une guerre d'usure qui les épuiserait et réactiverait, à terme, la tentation du désengagement et du repli.

En revanche, une éviction rapide du raïs irakien aura pour effet de clarifier la situation et de soulager les régimes arabes qui n'auront pas à justifier leur inertie face à l'offensive américaine. Car un enlisement de la guerre rendra intenable la position de la plupart des régimes, suspectés par leur opinion publique de «complicité» avec «l'agresseur» américain. D'autant plus que plusieurs pays auront accordé des facilités militaires à l'armée américaine. Les deux chefs «rebelles», Ben Laden et Saddam Hussein, risquent de partager un constat très amer, celui de la «trahison» des leurs. Malgré son antiaméricanisme, justifié par un alignement systématique sur Israël, la Oumma islamique ne s'est toujours pas mobilisée pour répondre aux appels au djihad lancés par Ben Laden, bien qu'une minorité endoctrinée et très active ait rejoint ses rangs pour se transformer en redoutables kamikazes. Et les masses arabes resteront, sans doute, bien sourdes aux appels de Saddam destinés à créer des diversions pour détourner l'armée américaine de ses objectifs dans l'ancienne Mésopotamie.

Pourtant, les Arabes ne partagent pas les convictions de Washington, qui n'a pu présenter une seule preuve tangible sur la collusion entre Saddam et Ben Laden. D'autant plus que les hommes d'al-Qaida trouvent refuge davantage au Pakistan, en Iran, en Arabie, au Yémen que dans la partie de l'Irak contrôlée par Saddam. Bagdad n'a jamais commandité l'assassinat de centaines de ressortissants américains, telle la Syrie, ni financé l'islamisme international, à l'instar de Riad qui vient de le reconnaître en promettant de s'amender. Mais les motivations inavouées de Washington font du conflit annoncé et du changement de pouvoir à Bagdad une étape sur la route de Riad, le foyer ardent de la doctrine islamiste, entretenue, exportée et financée par la mouvance wahhabite qui constitue une partie intégrante du régime saoudien. En «libérant» les deuxièmes réserves mondiales de pétrole, Washington serait alors en mesure de peser sur Riad et de dicter ses conditions : le désarmement de la doctrine wahhabite responsable des attentats du 11 septembre, la dissociation entre islamisme et pétrodollar pour parvenir à l'arrêt du financement de la mouvance islamiste internationale.

En admettant que l'éviction de Saddam se passe selon le meilleur scénario américain, comment envisager «le jour d'après» ? Trois hypothèses peuvent alors se présenter : Washington installe un gouvernement autoritaire allié qui se substitue à celui de Saddam ; il opte pour une fédération entre les trois principales entités nationales (chiite, sunnite et kurde) sous l'égide d'un triumvirat ou d'un prince hachémite ; il laisse les Irakiens s'exprimer dans les urnes, au risque d'élire, aujourd'hui ou demain, un pouvoir islamiste ou nationaliste belliqueux, ombrageux ou jaloux de son indépendance.

Dans cette dernière hypothèse, quelle serait la réaction de Washington qui n'a pas montré, par le passé, un empressement pour prescrire la démocratie à ses alliés arabo-islamiques ? Mais la démocratie ne se décrète pas au journal officiel. Elle résulte d'un long apprentissage et d'une adhésion à des valeurs intrinsèques.

En tout état de cause, le choc prévisible, surtout s'il est suivi d'une défaite de l'arabisme (version Saddam) et de l'islamisme (version wahhabite de Ben Laden), ne manquera pas de remettre en cause ces deux idéologies qui dominent l'espace arabe depuis le lendemain des indépendances en supprimant les libertés publiques et privées au nom de la lutte pour de justes causes. Comme si ces deux valeurs étaient incompatibles !

Conclusion : les élites ont souvent fui leurs pays pour s'installer en Occident. Ce qui a contribué à la fossilisation des régimes arabes, dont les opinions publiques sont nostalgiques de la grandeur passée et désireuses de renouer avec elle. En cas de remise en cause, elles seront contraintes d'explorer de nouvelles voies et de rompre avec la médiocrité du «système arabe» en vigueur, en ouvrant des horizons plus prometteurs. C'est alors que les élites arabes en exil, donc en contact avec la modernité, pourraient entrer en action pour promouvoir un nouveau mode de gouvernance qui allie modernité et valeurs authentiques de l'espace arabo-islamique. Les plus optimistes pensent que le choc suscité par l'effondrement de certains régimes pourrait déboucher sur un processus et sur une dynamique de renaissance arabe. Les pessimistes, qui plaident pour le statu quo, redoutent au contraire le chaos et l'amplification du terrorisme.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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